Les coups de coeur

L'usage de la photo, Annie Ernaux et Marc Marie

L'usage de la photo, Annie Ernaux et Marc Marie

« La consommation de l’amour »

L’usage de la photo d’Annie Ernaux et Marc Marie, publié chez Gallimard en 2005, porte un regard intime sur la condition de l’être humain, la consommation de l’amour et questionne la disparition de la mémoire. Ce roman photo, inscrit dans la bibliographie d’Annie Ernaux, reste peu abordé lorsque l’on explore l’œuvre globale de l’autrice, sans doute par sa démarche artistique mêlant textes et images, et aussi parce que parler ouvertement de sexe est toujours un tabou dans la société.

Parce que oui, il est question en premier lieu d’un récit fondé à partir de photographies prises à la suite d’ébats amoureux. À l’époque où Annie Ernaux et Marc Marie sont amants, iels photographient leurs vêtements éparpillés au sol quelques heures après avoir fait l’amour, comme des tableaux d’étoffes, des natures mortes matérialisant la présence humaine dans la disparition des corps. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas à un acte de voyeurisme auquel nous sommes confronté·es mais bien aux vestiges de vies comme journal intime et exutoire ; avec l’idée « qu’il fallait photographier tout cela, cet arrangement né du désir et du hasard, voué à la disparition. ». Car, à cette période, les deux auteur·es sont l’un comme l’autre confronté à la mort. Elle par l’annonce de son cancer du sein et son traitement, et lui par le deuil de sa mère. Dans ce fléau, la photographie apparait comme un symbole de vie et semble être le reflet d’une contemplation matérielle de la jouissance, où s’ajoute une réflexion sur la menace du temps.

Si la notion du temps est au cœur du roman, c’est parce qu’en photographiant les amants montrent leur peur de l’oubli. Iels ont le désir d’ancrer ces épisodes de leur vie commune pour être sûr qu’ils soient réels et témoignent d’une époque. Pour autant, c’est à ce moment-là qu’apparait l’écriture face aux limites de l’image. Ces photographies domestiques ne suffisent pas à « saisir l’irréalité du sexe dans la réalité des traces », et ainsi l’écriture a permis de « conférer davantage de réalité à des moments de jouissance irreprésentables et fugitifs. ». Ce tandem entre textes et images se révèle être l’association idéale pour dialoguer sur leurs émotions et sentiments.

Le dispositif, à la limite de l’acte scientifique tant il est minutieux : « interdiction à celui qui allait chercher les photos d’ouvrir la pochette […] s’installer l’un à côté de l’autre dans le canapé, devant un verre, avec un disque en fond […] sortir une à une les photos et les regarder ensemble » montre la mise en place d’un protocole strict, comme celui d’avoir écrit sur ces images des années après leurs prises de vue.  Les auteur·es se sont confronté·es au jeu de l’écriture chacun de leurs côtés pour porter un double regard sur les photographies et établir un constat de leur mémoire. Une multiplication des points de vue qui résonne comme un leitmotiv de la binarité dans le récit. On note cette dialectique de la dualité entre l’archive et le journal intime, la photographie et le texte, la présence et l’absence, la mémoire et l’oubli, le passé et le présent, le féminin et le masculin ; un marqueur de superposition qui enrichit la lecture.

Ainsi, cet ouvrage construit un paysage du corps, du temps, de la passion et de la mort dans un mélange de médiums où l’érotisme ne se trouve pas dans l’image mais dans ce qu’elle évoque, à travers une écriture hyperréaliste et désinhibée de lyrisme et métaphores romanesques.

Mélanie

La place, Annie Ernaux

La place, Annie Ernaux

La place est à lire pour comprendre comment on peut se sentir étranger.e a sa famille malgré les liens du sang, comment la culture impacte la vie sociale et familiale et comment on peut s'élever socialement et sortir de "sa campagne". Une bonne introduction au style détaché des autofictions d'Annie Ernaux.

Sonia

Aitteindre l'aube, Diglee

Aitteindre l'aube, Diglee

Quelques heures dans une journée pour que les pages filent entre les mains !

Diglee a enquêté sur les femmes de sa famille et plus précisément sur la vie de sa grande-tante, symbole féministe, avant-gardiste et précurseuse pour son époque ; elle a prôné l'indépendance et s'est détachée de la figure féminime soumise aux décisions masculines. Et à tavers ces découvertes, à travers ces mots empreints de poésie et de passion, Diglee propulse les filiations non conscientisées qui peuvent éclairer nos choix et pensées. C'est comprendre que nos désirs, nos quêtes et nos décisions ne sont pas anodines et sans ancrages. C'est comprendre que nos ancêtres sont des voix puissantes sur nos vies. C'est essayer de comprendre ceux·elles qui ont été·es pour comprendre peu à peu qui nous sommes.

Mélanie